SOUS LE SECOND EMPIRE, CONSTANCE CÉRET « RÉDACTEUR EN CHEF » MALGRÉ LA LOI

Plus de 46 % des titulaires de la carte des journalistes professionnels sont aujourd’hui des femmes. Le journalisme a pourtant été pendant longtemps réfractaire à la féminisation. Alors que sous le Second Empire, la presse passe du stade artisanal à celui de l’industrie, que le journalisme devient une profession, une femme dans une rédaction reste une exception. Surtout si ce journal est un organe politique, la loi leur imposant des conditions impossibles à remplir. À Douai, Constance Céret-Vandecasteele fut pourtant l’une de celles-là pendant une dizaine d’années.

Née à Douai le 20 novembre 1830, Constance Céret est la petite fille du fondateur de la Feuille de Douai, Séraphin Carpentier qui la dirige jusqu’à sa mort en 1823. Ce journal légitimiste passe alors entre les mains de son fils Théophile. Lorsque celui-ci meurt à son tour en 1840, l’imprimerie, évaluée à 3 000 F, comprend trois presses à main, deux tables à encrier, une vingtaine de cases de divers caractères.  Célibataire, il a fait de sa nièce Constance, âgée de dix ans, sa légataire universelle avec usufruit à sa sœur Rosalie Carpentier, mariée à Désiré Dieudonné Céret. Secondée par son mari, Rosalie prend donc l’affaire en main. En 1849, à la mort de celui-ci, elle poursuit seule l’exploitation de l’imprimerie et du journal devenu à la veille de la Révolution de février 1848 Le Réformiste et dans lequel elle n’intervient pas.

Sa fille ne semble pas s’intéresser aux affaires de sa mère. Et s’en éloignerait plutôt. En 1852, elle fait probablement un beau mariage en épousant Benjamin Vandecasteele, fileur de lin dans le quartier de Moulins à Lille. Constance mène alors une vie d’épouse, puis de mère de famille mettant au monde, en juin 1855, une petite fille prénommée Pauline Marie Constance. En décembre 1856, elle est enceinte lorsque son mari meurt.

Veuve, Constance regagne probablement Douai où, en juin 1857, elle accouche d’une seconde fille, Marie Benjamine Rosalie. Pendant ces années, Le Réformiste, resté fidèle à la devise des légitimistes, « Tout pour la France et par la France », a eu fort à faire avec le pouvoir qui, à plusieurs reprises, le censure, le poursuit en justice, et le menace de suspension. En septembre 1854, à la suite de la fusion avec un autre journal douaisien L’Indicateur, il est devenu Le Courrier douaisien. Pas de quoi bouleverser les habitudes de ses lecteurs ! Les relations avec le pouvoir un temps apaisées se dégradent à nouveau avec l’arrivée d’un nouveau rédacteur, V. L. Baril, comte de La Hure. « Cette feuille ne garde plus de ménagements » déplore, en octobre 1861, le sous-préfet qui réclame le départ de ce rédacteur. Mme Céret-Carpentier s’y oppose, mais la polémique enfle avec l’entrée en lice des concurrents du Courrier douaisien, trop heureux de porter le fer contre leur rival. Devant les menaces du procureur, la propriétaire du journal cède.

Au lendemain du départ de Baril, pour lui succéder, elle soumet à l’autorisation du gouvernement, comme la loi l’y oblige, le nom d’un nouveau rédacteur en chef. Elle propose sa fille Constance Céret, veuve Vandecasteele, qui, déjà, faisait partie de la rédaction. Elle « réunit sous le rapport de l’instruction et de l’aptitude, reconnaît le sous-préfet, les conditions favorables ». Tout irait donc pour le mieux. D’autant qu’au moment où le pouvoir doit faire face à la grogne des catholiques, des protectionnistes, et d’autres, il y gagnerait peut-être un nouvel allié. Mme Céret-Carpentier a laissé entendre que son journal pourrait changer de ligne politique. Pourtant le sous-préfet s’interroge. Ne serait-ce pas créer un précédent ? Cette décision se heurte à certaines dispositions du décret du 17 février 1852, véritable charte qui régit la presse.

« ÊTRE MÂLE ET JOUIR DE SES DROITS CIVIQUES »

Quelques jours plus tard, la décision du ministre tombe : « Les autorisations du gouvernement pour les journaux politiques ne peuvent être accordées qu’à un Français jouissant de ses droits civils et politiques ». Et s’il fallait être encore plus direct, le ministre rappelle, en les soulignant, les conditions requises par le Code Napoléon pour être rédacteur en chef d’une feuille politique : être mâle, majeur, sujet de l’Empereur et jouissant de ses droits civiques ». Constance Céret-Vandecasteele est une femme, les femmes n’ont toujours pas le droit de vote, elle ne peut donc pas diriger un journal. C.Q.F.D.

Malgré la sévérité des peines encourues, Mme Constance Céret-Vandecasteele et sa mère passent outre, probablement encouragées par les conservateurs. Le sous-préfet peut déplorer régulièrement qu’il n’y ait pas d’autre rédacteur que la fille de Mme Céret, le ministre semble fermer les yeux. En octobre 1863, l’inspecteur général de l’imprimerie et de la librairie écrit : « Cette feuille est sans rédacteur principal ». Les deux parties ont-elles trouvé un arrangement tacite ?  Certes, dans ce journal qui, lors des élections au Corps législatif de 1863, a soutenu l’opposant Félix Lambrecht, ami de Thiers, Constance Céret signe des articles en pages intérieures, endosse la responsabilité des faits divers, des nouvelles locales, du bulletin de l’étranger non signés, comme l’exige la loi d’un responsable d’un périodique, mais les chroniques politiques restent l’apanage des hommes, dont la plupart sont avocats à la Cour. L’empire se libéralise, l’étreinte autour de la presse se relâche progressivement et la situation se pérennise.

En 1871, après la chute de l’empire, Constance Céret, toujours présente à la rédaction du Courrier, s’offre même le luxe de s’adresser au sous-préfet sur un papier à en-tête du rédacteur en chef. Son nom ne disparaît qu’après la vente du Courrier douaisien en avril 1873. Constance Céret quitte-t-elle Douai à cette époque ? En tout cas, elle meurt le 23 février 1884 à Boulogne-sur-Mer où elle habite sur l’ex-boulevard de l’Impératrice, une belle artère aux maisons bourgeoises, rebaptisée boulevard Daunou. Quant aux femmes, elles ont dû attendre la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui abolit toute la législation antérieure, pour pouvoir diriger un journal politique.

Jean-Paul Visse