Etre vendeur d’un hebdomadaire anarcho-syndicaliste n’est pas de tout repos, mais peut néanmoins induire en tentation. Désiré Becquet criait le journal à Liévin quand la police lui dressa procès-verbal. Le juge de Paix de Béthune le condamna à 10 F d’amende, fixant la contrainte par corps éventuelle à cinq jours, ce que bien sûr L’Action syndicale trouva disproportionné, accusant le juge de se venger, le journal ayant révélé quelques-uns de ses petits secrets. Le rédacteur de l’article faisait remarquer que d’appel en grâce pour le 14 juillet, Becquet n’était pas prêt de se retrouver en prison, puisqu’il était en fuite ( L’Action syndicale , 28 février 1908). La police était sans doute bien informée puisqu’elle retrouve Becquet fin mars. Selon L’Action syndicale (3 mars 1904), Becquet dînait chez trois mineurs habitant une chambre en garni. À l’un des mineurs sorti de la chambre, les agents demandent si Becquet va dormir avec eux. Mais on ne nous dit pas le fin mot de l’histoire, le rédacteur de l’article préférant ironiser sur les agapes permises à Basly et pas à Becquet. L’Action syndicale menait une intense propagande néo-malthusienne. Pour un article intitulé « Possibilité d’aimer sans enfanter », signé « Adultérin », et pour recommander et faire diffuser par ses vendeurs deux brochures Plus d’avortement et Moyens d’éviter les grandes familles , Broutchoux, secrétaire du journal, Colbaert, administrateur, l’imprimeur Méresse, un typographe et le vendeur Becquet sont convoqués chez le juge d’instruction pour « outrages aux bonnes mœurs ». Le 24 mars, Méresse et Becquet sont condamnés chacun à 50 F d’amende, et Broutchoux à vingt jours de prison. ( L’Action syndicale 27 mars 1904). Les trois font appel. Ils seront acquittés par la cour de Douai qui les «renvoie des frais de la poursuite sans dépens». Entre temps, Désiré Becquet a cessé d’être, si l’on ose dire, « en odeur de sainteté » dans les bureaux de L’Action syndicale . La livraison du 29 juin 1904 apprend à ses lecteurs que Becquet « est parti furtivement en emportant la somme de 165,20 F ». Fuite qui, cette fois, ne fait pas rire le journal. L’hebdomadaire conseille donc de se méfier de cet « estampeur », qui a déjà commis la même indélicatesse à l’égard de plusieurs organes de défense ouvrière. Il demande aussi « à la presse révolutionnaire de signaler en le flétrissant l’acte dégoûtant qu’à commis le faux-frère ». Bien entendu, pas question d’utiliser les lois bourgeoises pour poursuivre le voleur. Un « boycottage ouvrier » suffira. Le 5 juin 1906, la Commission du journal décide d’agir avec autant d’énergie envers les vendeurs en retard qu’elle en a mis à l’égard de Becquet : « Les vendeurs en retard sont donc avertis d’avoir à s’arranger avec la commission le plus tôt possible , sinon ils seront dénoncés par la voix du journal.» Tant il est vrai que le problème de la remontée du produit des ventes est endémique dans les journaux militants. Et que Becquet y est aussi pour quelque chose, témoin la « Petite Correspondance » du 12 juin 1904 : « Wavrin. À D. Ton dernier versement s’élève à 1 franc et a été fait le 31 janvier. Les 2 francs que tu as remis à Becquet ne m’ont point été remis. » Néanmoins le 28 août, le journal est en déficit. Les 165,30 F emportés par Becquet font défaut, les ventes ne paient pas l’impression, et les vendeurs en retard doivent 254,50 F au journal. D’où la menace : « la Commission espère que tous les vendeurs en retard feront leur devoir, et quelle ne sera pas dans la pénible obligation de les clouer au pilori comme elle l’a fait pour le sieur Désiré Becquet. » C’est la dernière fois que L’Action syndicale imprimera le nom du faux-frère.